Doug Ischar

Doug Ischar se sert d’images toutes faites, constituees deja, reprises et representees en boucle ou fixes. Il se sert d’images toutes faites pour illustrer les ideologies toutes faites qui sont investies en chacune. Ce faisant, il cite, donc preleve un sens qui est deja la et fonctionne comme un rappel. Comme toute citation est necessairement memorable, le fait de reprendre prend une allure d’honorabilite. Mais voila, ce qui est ici repris ne possede parfois de signification que pour un public reduit. Il y a bien, dans Still, cette tete de Mao presque submergee dans l’eau comme elle le serait aujourd’hui dans l’histoire. Il y a bien Che Guevara, mort, et pointe du doigt par les militaires de Bolivie qui l’ont finalement eu. Mais dans l’installation toute entiere, intitulee Cul de sac, cette image fixe apparait sous le balayage radar du type de bande-comptage qui se profile au debut de chaque film. A cote, une petite projection en boucle represente le bas-ventre d’un homme qui s’amuse a remonter et redescendre la fermeture-eclair de son jeans. Une autre projection sur une carte geographique de l’Asie du sud-est fait voir, a l’aide d’un travelling, un decor assez kitsch de chaise longue sous parasol, sise dans une arriere-cour de vacancier derriere laquelle de fausses dunes se profilent. Il y a bien ici une sorte d’indecidable entre deux voies: sens deja la, d’une part, reconnaissable puisque appartenant a l’histoire recente et sens obtus, d’autre part, se derobant dans des generalites de fiction hollywoodienne. Les deux se presentent de concert, dans une meme representation mais ne relevant pas, du moins apparemment, du meme ordre de considerations.

Doug Ischar avait fait de meme a Plug In a Winnipeg en 1994 dans une exposition-solo intitulee <<Orderly>>. La aussi, des images qui provenaient de l’univers militaire, comme des visions periscopiques de Tokyo, en voisinaient d’autres, inattendues dans ce contexte, de scanner fluoroscopique decouvrant des jouets et gadgets sexuels. Des allusions plus ou moins directes, par ces objets personnels d’homosexuels battus a mort par leurs collegues militaires, permettaient de mettre en relation l’univers des gays et le monde militaire. Ces indications nous sont offertes par des legendes, commentaires a cote de l’image, qui fonctionnent bel et bien comme celles de journaux et magazines, sorte d’adjuvants de sens qui viennent proposer une lecture idoine, la bonne interpretation. Cet a cote du sens, on pourrait l’identifier a de l’ideologie, a cette reference correcte qu’il est convenu d’attacher a toute image. D’autres citations, de litterature du XIXe siecle ou pornographique, sont aussi presentes dans des sortes d’exergue qui viennent donner le ton aux installations.

Le sens ideologique a donner a une image releverait donc parfois d’une coercition, d’une force qui n’est pas dans l’image, un plaque, du supplement: le tour de vis necessaire a la lecture et a la signification.

On retrouve des objets semblables, personnels et donc reels, indices plus qu’icones, dans Siren, a Oboro. Une installation met en scene des objets ayant appartenus a Jeffrey Dahmer, assassin d’une bonne vingtaine de personnes. Une note de prison et une carte de bibliotheque sont les indices qui reconduisent a l’existence de Dahmer. Des projections de couleur orangee et de Jeffrey lui-meme, a l’age de quatorze ans et saluant de la main, viennent se superposer a ces surfaces et a un ecran.

Evidemment, nous tenons pour certain que ces pieces sont reelles, que ce sont des objets litteralement voles de l’univers de cet assassin. La reside toute la force d’Ischar: les artefacts qu’il represente sont vrais ou percus comme tels. Ils traduisent la vie de personnes reelles.

Au croisement d’un univers paradigmatique qui releve de sens generaux, d’une classification inconsciente dans une certaine ligne de pensee, dans une ideologie typee (gay versus militaire), ces pieces ne coincident pas mais en sont neanmoins presentees la, en face a face. Petits ecueils de sens bute, univoque et indeniable, ils en affrontent d’autres tout aussi affirmes qu’eux. C’est un monstre aile de film d’horreur des annees cinquante bombarde sur un mouchoir de poche deplie. C’est une scene de film, Crocodile Thrills, feroce combat entre un homme et un reptile, projetee en boucle sur un polo Lacoste, sorte d’uniforme homosexuel des annees quatre-vingt. Ces pieces citees disent bien qu’il y a des formes de representation reconnaissables, des strategies de sens qui sont pregnantes, des archetypes signifiants. Qu’existe en nous une memoire des representations. Ces pieces trouvent ainsi, toute prete en nous, une certaine forme de reception, une predisposition a reconnaitre ces signes sans pouvoir les nommer de facon certaine. Elles ressortent du sens obvie, de l’evidence, des stereotypes, du tout-venant de la pensee. Et ces signes en rencontrent d’autres, tout aussi outres ou non. De ces sens clos qui s’entrechoquent nait l’evidence du fonctionnement ideologique, vient la ratification de cela qui, en eux, relevent d’autres significations. La manipulation ideologique evidente de ces elements cree du sens nouveau. La tension vers cette cristallisation en indices connus effeuille les couches de sens.

Les images ne sont plus la representation de quelque chose mais ce quelque chose de la representation, pierre posee pour mesurer le chemin. Elles apparaissent lestees de tout ce desir que quelque chose en demeure, qu’il en reste quelque sens. Eperdument abandonnees dans et par ce desir de sens, elles se font fetiches de ce seul desir. Cette compassion scopophile nous semble donc plus evidente. Les images sont des passions et des desirs, des marques de cette insecurite qui fait que tout doit avoir un sens. Ce tout du sens n’est evidemment que l’envers de cette angoisse ou il nous semble parfois que rien n’a de sens. De la vient le trouble que ces installations d’Ischar causent en nous. Chaque signification est abordee de facon directe et reprise de maniere oblique, deplacee et sise en face d’une autre. Ramassis de pieces d’histoires vraies, de la petite ou de la grande, <<WAKE>> est aussi de l’ordre de la veillee de corps, de la veillee de cette histoire qui finit en chaque image stereotypee. Chaque image est une fin du sens, le point d’aboutissement qui resume et tue une narration. Fin bout d’une pensee toute entiere ramassee en elle, elle la trahit de la dire trop, de ne vouloir etre que de commune grandeur avec elle. Les sens ne reconduisent pas a leurs images et vice versa. Disjonction du sens, de la solidification de celui-ci en un symbole accepte, de la metonymie qui donne un objet pour une seule idee et aucune autre, <<WAKE>> conditionne des series nouvelles, des paradigmes ignores ou le sens qui se fait ne peut se muer en nulle certitude.