Francois Mechain

Cette exposition reunissait une selection de travaux, principalement des photos d’oeuvres in situ, la plupart realisees au Canada au cours des differents voyages qu’y a fait l’artiste depuis le tournant des annees quatre-vingt-dix. Ces <<sculpturesfictions>>, <<machines vegetales>> et autres installations forestieres, pour reprendre ici les titres de certaines oeuvres, participent egalement de ce qui tend a apparaitre de plus en plus aujourd’hui comme un genre d’art, ou de pratique, a part entiere, ce que l’on pourrait appeler, faute de mieux, la photo (d’)installation. Les oeuvres de Francois Mechain se situent de fait dans une mouvance qui voit s’etablir une relation de plus en plus symbiotique entre l’in situ et sa reproduction photographique, deux moments d’une meme oeuvre, photo-sculpture.

La photographie est en effet, comme on le sait, partie prenante des diverses formes d’art ephemere ayant vu le jour depuis les annees soixante, du Body Art et autres performances jusqu’au Land Art et autres Earth Work. Elle s’avere peut-etre meme constitutive de ce type de pratiques, dont elle represente bien souvent la seule trace tangible. Ceci est tout particulierement vrai des oeuvres in situ. Bien qu’initialement liee au desir de dissocier pratique artistique et production d’objet, ce type d’oeuvre n’a de fait jamais vraiment permis de rompre tout a fait le lien avec l’objet d’art au sens le plus conventionnel. La photographie, artefact par excellence, se pretait plus commodement que l’installation ou l’intervention originale aux diverses possibilites de manipulations et de transactions symboliques et monetaires au sein du systeme et/ou du marche de l’art, permettant par le fait meme de reconstituer cette valeur <<marchande>> fortement contestee sinon vraiment menacee. C’est ainsi qu’a partir d’une intention strictement documentaire, comme chez Robert Smithson par exemple, on peut voir par la suite la photo gagner par a-coups une sorte d’autonomie esthetique sinon de souverainete complete vis-a-vis l’intervention initiale. Elle se fait graduellement non seulement moins discrete, mais aussi souvent moins austere et beaucoup plus esthetique, sur une voie spectaculaire-publicitaire, comme chez Christo par exemple, ou sur une voie hyperesthetique, chez Andy Goldsworthy notamment. Cette evolution vers une certaine autonomie de l’image photographique, avec sa part d’esthetisation, n’est pourtant pas limitee a ces seules alternatives. La tentation et les seductions de l’image pour l’image sont ainsi sans doute deja presentes au depart, au moins ironiquement chez Smithson, et deja plus serieusement (ou plus <<constructivistement>>) chez Gordon Matta-Clark, comme plus recemment et encore autrement chez Tadashi Kawamata, Nils-Udo, Georges Rousse et bien d’autres. Cette pratique de la photo (d’)installation de plus en plus diversifiee suggere de toute facon qu’il faille aujourd’hui s’efforcer a en decrire et a en expliquer les diverses modulations.

L’une des originalites de Mechain a tous ces egards est sans doute d’etre venu a l’installation et a l’in situ par la photographie, plutot que l’inverse. En effet, celui-ci a d’abord eu une pratique de photographe. La photo n’est pas venue s’adjoindre apres coup, pour pallier l’absence d’artefact monnayable ou communicable. Elle a plutot conduit et guide l’artiste, par induction, vers l’in situ et ses problematiques. On trouve d’ailleurs dans cette exposition, outre des photos, une installation comportant des elements tridimensionnels, sculpture et bas-relief, prolongeant a l’interieur de la galerie une intervention photo-sculpturale realisee recemment dans la region, toujours au fond des bois. Tous ses travaux s’inscrivent par ailleurs manifestement dans la foulee de problematiques smithsoniennes. L’importance accordee ou consentie a la photo n’est pas le fait ici d’une simple esthetisation. C’est tout particulierement le cas des differentes photos-sculptures realisees dans la foret canadienne, plus precisement dans certaines friches de coupes a blanc et autres clairieres abandonnees par l’industrie forestiere. La dimension physique, performative en un sens, et utopique aussi, d’oeuvres souvent monumentales realisees dans des lieux d’acces difficiles, les situe dans la plus pure lignee du premier Land Art. La nature cesse ici d’etre un modele pour devenir un moyen, un outil, un materiau, un signifiant. Le travail procede par ailleurs d’une semblable fascination pour l’action du temps, cette loi d’entropie au coeur du propos de Smithson. Faits de bois morts et de dechets de foresterie, et situes dans des non-sites, en des lieux mediocres, ni pittoresques, ni sublimes, les in situ paraissent de fait entierement soumis a cette loi d’entropie qui condamne energie et matiere a l’usure et a la degradation. Les photographies qui en sont faites affirment en revanche precisement le contraire. Les photos-sculptures procedent des lors de ce tiraillement, l’apprehension oscillant entre l’acceptation de la disparition imminente, lot de toute installation temporaire, et le refus de disparaitre et de laisser aller. Elles paraissent produites uniquement pour souligner cette tension entre presence et absence, apparition et disparition, ceci intensifiant cela, ceci precisant cela. Tel ce Chemin au porc-epic, fait d’une cinquantaine de sapins et d’epinettes morts replantes, bouquet d’epinettes herisses au milieu de nulle part, comme une bouteille a la mer. Utopique mais pragmatique.

Au meme titre encore que les classiques du Earth Work, dont il partage plus d’un accent romantique, Mechain n’abandonne pas pour autant toute ambition ou toute preoccupation formelle. Chacune de ses oeuvres fait au contraire etat d’un souci de composition, ce que fait apparaitre (ou sert a faire apparaitre) avec plus de nettete encore la photographie de l’in situ original. C’est le cas notamment avec La Riviere noire. Au premier plan, un amoncellement de troncs et de branches, masse instable et dangereuse, monument funeraire ou bucher, se profile sur la silhouette de montagnes en arriere-plan, les redessine et les simule comme par dedoublement, jeu de l’original et de la copie, ou la copie precede et devance l’original, ou la copie (de bois mort) a quelque chose aussi a voir avec l’original toujours vivant. Dans tous ces cas, la photo (d’)installation met en oeuvre une dialectique du site et du non-site, ce jeu de l’in situ (sculptural) et de l’ex situ (photographique), intensifiant pour en jouer ces courants contraires d’appropriation et d’expropriation du site et de l’oeuvre.

Cette evolution de l’in situ qui voit la photo passer ainsi a l’avantplan n’est-elle donc le fait que d’un marche qui reclame sa part de garantie symbolique et de fetiches? Ou bien l’aboutissement d’une reflexivite esthetique qui entend exploiter le support photographique dans toutes ses consequences et l’assumer dans toutes ses significations? La photo peut apres tout s’averer aussi un element de l’oeuvre au sens fort, permettant de souligner avec plus d’intensite encore, sinon la dissociation complete, du moins cette tension inherente au rapport a l’art, pratique ou objet. C’est sans doute cette question, et cette indecision, qui caracterise d’ailleurs le mieux ce type de travail, et lui confere tout son interet. La photo (d’)installation est precisement marquee par une double incertitude, quant a son mode d’etre (photo ou sculpture ou installation?) et quant a sa destination (document ou oeuvre?). Ou donc est l’oeuvre? Dans la sculpture (l’intervention, l’installation)? Dans son image enregistree et reproduite? Ou quelque part entre les deux? Ce type de pratique rend de fait absurde ce genre de questions. Photo et sculpture sont en realite inseparables, liees par le jeu meme de leur differenciation continue, producteur d’un champ de significations qui leur est propre et commun.